TEXTES MYTHOLOGIQUES IRLANDO-GALLOIS

 

Extraits de textes irlandais à propos des quatre talismans des Tuatha dé Danann :

La Seconde Bataille de la Plaine des Piliers (Cath Tánaiste Mag Tuired)
Traduction : Caitlín Urska

Les Tuatha Dé Danann étaient dans les îles au nord du monde, à apprendre les traditions et la magie et le druidisme et la sorcellerie et la ruse, jusqu'à ce qu'ils surpassent les sages des arts du paganisme. Il y avait quatre villes dans lesquelles ils apprirent les traditions et la science et les arts diaboliques, à savoir Falias et Gorias, Murias et Findias.
De Falias fut apportée la Pierre de Fál, qui était à Tara. Elle rugissait sous chaque roi qui prendrait le trône d'Irlande. De Gorias fut apportée la Lance que Lugh avait. Aucune bataille ne fut jamais gagnée contre elle ou celui qui l'avait en main. De Findias fut apportée l'Epée de Nuada. Lorsqu'elle était tirée de son fourreau mortel, personne ne pouvait y échapper, et elle était irrésistible. De Murias fut apporté le Chaudron du Dagdae. Aucune compagnie ne le quittait insatisfait.
Quatre sorciers il y avait dans ces quatre villes. Mór-fesae était à Falias, Esras était à Gorias, Uscias était à Findias, Semias était à Murias. Ceux-ci étaient les quatre poètes desquels les Tuatha Dé apprirent les traditions et la science.


Pierre de Fal sur la colline de Tara à Castleboy (Irl.), crédits : Przemysław Sakrajda, wikipedia.fr

 

Extraits de textes irlandais à propos de Lugh au Festin de Tara :

La Seconde Bataille de la Plaine des Piliers (Cath Tánaiste Mag Tuired)
Traduction : Caitlín Urska

Après Bres, Nuada fut à nouveau souverain sur les Tuath Dé. A ce moment-là, il offrit aux Tuath Dé un grand festin à Tara. Or il y avait un certain guerrier en route pour Tara, dont le nom était Samildánach [le Polytechnicien]. Et il y avait alors deux sentinelles à Tara, Gamal fils de Figal et Camall fils de Riagall. Lorsqu'un des deux était là, il vit une étrange compagnie venir vers lui. Un jeune et beau guerrier, avec des vêtements royaux, était au devant de cette troupe. Ils dirent à la sentinelle d'annoncer leur arrivée à Tara. La sentinelle dit : « Qui va là ? »

«  Ici va Lugh Lonnannsclech fils de Cian fils de Dian-cecht, et de Ethne fille de Balor. Fils adoptif de Tallan fille de Magmor roi d'Espagne et de Echaid le Rude, fils de Duach. » La sentinelle demanda à Samildánach : « Quel art pratiques-tu ? » dit-il ; « car personne n'entre à Tara sans art. » « Interroge-moi », dit-il ; « je suis menuisier. » La sentinelle répondit : « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons déjà un menuisier, soit Luchtae fils de Luachaid. » Il dit : « Interroge-moi, ô sentinelle ! Je suis forgeron. » La sentinelle lui répondit : « Nous avons déjà un forgeron, soit Colum ualléinech des trois nouveaux procédés. »

Il dit : « Interroge-moi : je suis un champion. » La sentinelle répondit : « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons déjà un champion, soit Ogma fils de Ethliu. » Il dit encore : « Interroge-moi », dit-il, «  Je suis harpiste. » « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons déjà un harpiste, soit Abhcán fils de Bicelmos que les hommes aux trois dieux ont choisi dans les collines des fées. »

Il dit : « Interroge-moi : je suis un héros. » La sentinelle répondit : « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons déjà un héros, soit Bresal Echarlam fils de Echaid Baethlam. » Alors il dit : « Interroge-moi, ô sentinelle ! Je suis un poète et un historien. » « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons déjà un poète et historien, soit En fils de Ethaman. » Il dit : « Interroge-moi », dit-il, «  Je suis un sorcier. » « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons déjà des sorciers. Nombreux sont nos sorciers et nos gens de pouvoir. »

Il dit : « Interroge-moi : je suis un guérisseur. » « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons comme guérisseur Dian-cecht. » « Interroge-moi », dit-il : « Je suis un porteur de coupe. » « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons déjà des porteurs de coupe, soit Delt et Drucht et Daithe, Taé et Talom et Trog, Glei et Glan et Glési. »

Il dit : « Interroge-moi. Je suis un bon chaudronnier. » « Nous n'avons pas besoin de toi. Nous avons déjà un chaudronnier, soit Credne Cerd. » Il dit encore : « Demande au roi », dit-il, « s'il a un seul homme qui possède tous ces arts, et s'il en a un je n'entrerai pas à Tara. » Alors la sentinelle entra dans le palais et déclara tout au roi. « Un guerrier est venu devant le garth » dit-il. « Son nom est Samildánach, et tous les arts que ta cour pratique lui seul les possède, de sorte qu'il est l'homme de chaque art. »

Ceci le roi répondit alors, que les échiquiers de Tara lui soient apportés avec Samildánach et il gagna toutes les parties, de sorte qu'alors il fit le Cró de Lugh. Mais si les échecs furent inventés à l'époque de la guerre de Troie, ils n'avaient pas encore atteint l'Irlande, car la bataille de Moytura [Mag Tuired] et la destruction de Troie se produisirent en même temps. Alors cela fut raconté à Nuada. « Laissez-le entrer dans le garth », dit Nuada. « car jamais auparavant un tel homme n'est entré dans la forteresse. » Alors la sentinelle laissa passer Lugh, et il entra dans la forteresse et s'assit dans le siège du sage, car il était un sage dans tous les arts.

 

 

Extraits de textes irlandais à propos de Nemed :

La Légende de Tuan Fils de Cairill (Scel Tuan mac Cairill)
Traduction : Erik Stohellou

Alors Nemed, fils d'Agnoman, le frère de mon père, envahit l'Irlande, et je [Tuan] les voyais depuis les falaises et je les évitais. Et j'étais hirsute, griffu, desséché, gris, nu, misérable, malheureux. Alors, une nuit, comme je dormais, je me vis prenant la forme d'un cerf. Sous cette apparence j'étais, jeune et le cœur content. […]

Après cela, durant le temps où je fus sous la forme d'un cerf, je fus le maître des hardes d'Irlande, et partout où j'allais il y avait une grande harde de cerfs avec moi. C'est ainsi que j'ai passé ma vie durant le temps de Nemed et de ses descendants. Lorsque Nemed vint avec sa flotte en Irlande, leur nombre était de trente-quatre vaisseaux, à trente par vaisseau, et la mer les dévoya durant une année et demie sur la Mer Caspienne, et ils furent submergés et moururent de faim et de soif, hormis quatre couples en compagnie de Nemed. Par la suite, sa race s'accrut et eut une descendance jusqu'à ce qu'ils soient 4030 couples. Cependant, ils moururent tous.

 

 

Extraits de textes irlandais à propos des Sidh :  

Comment Oengus gagna le Sid-La Prise du Sid (De Gabáil in t-sída)
Traduction : Erik Stohellou

Il y avait un roi merveilleux qui régnait sur les Tuatha Dé en Irlande, Dagan [Dagda] était son nom. Grand était son pouvoir, même sur les fils de Mil, après qu'ils avaient saisi les terres. Car les Tuatha Dé gâchèrent le grain et le lait des fils de Mil jusqu'à ce qu'ils fassent un traité [ cairdes ] avec le Dagda. Par la suite, ils ont conservé leur grain et leur lait pour eux.
Grand aussi était son pouvoir [au Dagda] quand il était roi au début, et c'est lui qui répartit les síd entre les Fir Dé [« hommes-dieux »]: Lug fils d'Eithliu à Síd Rodrubán, Ogma à Síd Aircheltrai, le Dagda lui-même avait Síd Lethet Lachtmaige. [...]
Il est dit, cependant, que Síd Broga [Brug na Boinne] lui appartenait au début. [Oengus Mac Ind Oc] vint au Dagda pour obtenir son territoire lorsqu'il eut fait la répartition entre tout le monde ; il était un des fils nourriciers de Midir de Bri Leith et de Nindid le prophète.
« Je n'ai rien pour toi », dit le Dagda. « J'ai achevé la distribution. »
«  Donne-moi alors», dit le Mac Oc, « juste un jour et une nuit dans ta propre demeure. » Cela lui fut accordé alors.
« Maintenant, retourne à ta demeure », dit le Dagda, « parce que tu as épuisé ton temps. »
« Il est clair, » dit-il, « que le monde entier est jour et nuit, et c'est ce qui m'a été accordé. »
Le Dagan partit de là, et le Mac Oc resta dans son síd. C'est une contrée merveilleuse. Il y a trois arbres qui portent perpétuellement des fruits, et un porc toujours vivant et sur pied et un cochon cuit, et un vase contenant une liqueur excellente, et tout cela ne diminue jamais.


Tumulus de Newgrange à Drogheda (Irlande), crédits : wingsunfurled-web.com

Dindshenchas de la Bodleian Library
Traduction : Google Traduction et Kéblo

43. CNOGBA
Englic, fille d'Elcmaire, aimait Oengus mac ind Óc, et elle ne l'avait pas vu. Ils ont organisé des jeux entre Cletech et le Síd an Broga. Les élites et des divinités d'Irlande avaient l'habitude de pratiquer ces jeux à Samain, ayant une part modérée de nourriture, à savoir, une noix. Du nord sont sortis trois fils de Derc, fils d'Ethaman, du Síd Findabrach, et ils se sont enfuis avec la fille d'Elcmaire, [circulant] autour des jeunes gens à leur insu.  Quand ils l'ont su, ils ont couru après elle jusqu'à la colline nommée Cnogba. Grande lamentation qu'ils y firent, et c'est la fête qui les soutenait, leur rassemblement. D'où « Cnogba », c'est-à-dire cnó-guba, la « lamentation de la noix », de la lamentation qu'ils ont faite lors de ce rassemblement.

D'où Cnogba des troupes,
De sorte que chaque hôte le juge célèbre,
De la lamentation après avoir récolté des noix ....
Suite à la fille d'Elcmaire.

 

Dindshenchas métrique volume 3
Traduction : Google Traduction et Kéblo

4. CNOGBA
[…]
La fille d'Elcmar habitait là :
Mider était le chéri de la femme : 
un de ses chéris était le prince,
l'homme du grand et noble Sid Midir.

Englec, la fille du noble Elcmar,
était la chérie du parfait Oengus ;
Oengus, fils du bien-aimée Dagda,
n'était pas le chéri de la jeune fille.

L'illustre Mac Oc vint
vers le sud à Ceru Cermna
au Samain flamboyant et pressé
pour jouer avec ses compagnons de guerre ?

Mider est venu - hélas le jour !
il est venu sur elle après leur départ,
il a emmené avec lui Englec de sa maison
de là au Sid des hommes de Femen.

Lorsque le noble Oengus apprit le 
départ de sa bien-aimée,
il partit à sa recherche (je dis bien)
jusqu'à la fameuse colline d'où elle fut emportée.

C'était la nourriture de sa bande - un festin lumineux -
des noix de bois rouge sang :
il jette sa nourriture sur le sol ;
il se lamente autour de la butte.

Bien qu'on l'appelle la Colline de Bua des combats,
c'est le contre-récit tout aussi valable :
nous avons trouvé que 
de ce Cnogba « gémissant de noix » est nommé.

Par nous est conservé ensemble
la mémoire du lay,
et celui de ces contes
que vous en préférerez est nommé la région de la valeur suprême.


Tumulus de Knowth à Drogheda (Irlande), crédits : wingsunfurled-web.com

 

Extraits de textes irlandais à propos de Cúchulainn :

La Razzia des Vaches de Cooley (Táin Bó Cúalnge) - chapitres 6 à 8
Traduction : Joseph Loth

Cúchulainn entra dans le bois et d'un coup d'épée trancha la plus belle tige d'un chêne, tronc et tête branchue ; puis, se servant avec vigueur d'un pied, d'une main et d'un oeil, il en fit un cercle, traça une inscription ogamique à la jointure des deux extrémités, mit le cercle autour de la partie supérieure et mince de la pierre levée d'Ard Chuillend, enfin poussa le cercle en bas de manière à lui faire atteindre la partie grosse de la pierre. Après cela Cúchulainn alla à son rendez-vous. […]
Les nobles d'Irlande allèrent jusqu'à la pierre levée et regardèrent le pâturage brouté par les chevaux autour de cette pierre ; ils remarquèrent le cercle rusti­que mis par le royal héros autour de la même pierre. Ailill prit le cercle dans sa main et le mit dans la main de Fergus. Fergus lut l'inscription ogamique tracée à l'endroit où, pour former le cercle, les deux extrémités de l'arbre avaient été atta­chées l'une à l'autre. Puis il expliqua aux hommes d'Irlande ce que l'inscription voulait dire et pour le faire comprendre il chanta le poème suivant :
[…]
Cúchulainn entra dans le bois, sauta en bas et d'un coup d'épée coupa, tige et tête branchue, une fourche à quatre pointes. Il l'appointa en la brûlant, grava sur un côté une inscription ogamique, et, se servant d'une seule main, il la lança de l'arrière de son char. Le jet fut si puissant que les deux tiers de la fourche pénétrè­rent dans le sol, un tiers seulement resta au-dessus de terre. Ce fut alors que, près de cette fourche, arrivèrent accompagnés de leurs cochers les deux jeunes gens dont il a déjà été parlé, nous voulons dire les fils de Néra, petit-fils de Nuatar, arrière-petit-fils de Tacân. Ils se demandèrent lequel des deux donnerait le coup de la mort à Cúchulainn et lui trancherait la tête. Cúchulainn se tourna vers eux, trancha les quatre têtes [deux têtes des guerriers, deux têtes des cochers] et les mit chacune sur une des autres pointes de la fourche.
[…]
Cúchulainn coupe devant lui un chêne et trace une inscription ogamique sur un côté de cet arbre. Cette inscription disait que personne n'irait au-delà de ce chêne tant qu'un guerrier avec son char ne l'aurait pas dépassé en sautant par-dessus. L'ar­mée dresse là ses tentes et, montés dans leurs chars, leurs guerriers essaient de sauter par-dessus le chêne. Trente chevaux y périrent, trente chars y furent brisés. Cet endroit fut appelé Passage de la Gloire [«  Belch nÂne », nous verrons plus bas que ce fut plus tard à cause du succès de Fergus], et ce nom lui sera toujours conservé.

 

La Mort de Cúchulainn (Aided Con Culainn) OU La Grande Déroute de la Plaine de Murthemne (Brislech Mór Maige Murthemne)
Traduction : Henri d'Arbois de Jubainville

Alors Lugaid lança le javelot à Cúchulainn, il l'atteignit, et les entrailles du héros, sortant, se répandirent sur le coussin du char. Aussitôt le Noir de Merveilleuse Vallée [second cheval de Cúchulainn] partit, emportant ce qui restait du joug brisé ; il regagna le lac noir de Muscraigé Tiré, c'est-à-dire le pays où Cúchulainn l'avait pris ; le cheval, à son retour, se précipitant dans le lac, le fit bouillonner.
[…]
Il [Cúchulainn] alla s'appuyer contre la haute pierre qui est dans la plaine, et, à l'aide de sa ceinture, il attacha son corps à cette haute pierre. Il ne voulait mourir ni assis ni couché ; c'était debout qu'il voulait mourir. Puis ses ennemis vinrent se ranger à l'entour. Ils restèrent autour de lui sans oser l'approcher, il leur semblait encore vivant. « Honte à vous, dit Erc, fils de Coirpré le Héros des Guerriers. Honte à vous si vous ne prenez pas la tête de cet homme, si vous ne vengez pas mon père dont il a emporté la tête, mon père dont la tête, enterrée ensuite [en Tethba] avec le cadavre d'Echaid le Héros des Guerriers, n'a été que plus tard réunie à son corps, en Sid-Nennta, derrière l'eau. »
[…]
Des oiseaux vinrent percher sur l'épaule de Cúchulainn. « Ce pilier-là n'avait pas l'habitude de porter des oiseaux. » dit Erc, fils de Coirpré. Alors Lugaid, fils de Cûroï, prenant par derrière les cheveux de Cúchulainn, lui coupa la tête. Aussitôt, de la main de Cúchulainn l'épée tomba ; elle atteignit la main droite de Lugaid qui tomba coupée sur le sol ; pour venger la main de Lugaid on coupa la main droite de Cúchulainn.
[…]
Cúchulainn et Conall le Triomphateur, ces deux rivaux, avaient fait une convention : celui des deux qui serait tué le premier devait être vengé par l'autre. « Si c'est moi qui suis tué le premier, avec quelle rapidité me vengeras-tu ? » avait demandé Cúchulainn. - « Le jour où tu seras frappé, » avait répondu Conall, « je te vengerai avant le soir. Et si c'est moi qui suis tué, » avait continué Conall, « avec quelle rapidité me vengeras-tu ? » - « Je ne laisserai pas, » avait répondu Cúchulainn, « je ne laisserai pas ton sang refroidir sur terre avant de te venger. »
[…]
« Lugaid, » continua-t-il, « Lugaid, fils de Cúroi, fils de Daré, a tué mon frère de lait Cúchulainn. » Puis, Conall le Triomphateur, guidé par le Gris de Macha [premier cheval de Cúchulainn], alla visiter la campagne voisine. Tous deux virent, près de la haute pierre, le cadavre mutilé de Cúchulainn. Le Gris de Macha s'en approcha et mit sa tête sur la poitrine du mort. A quelques pas de là, Conall trouve un rempart : « Je le jure, » dit-il, « par le serment que fait ma nation, on appellera ce rempart le rempart du grand homme. » - « Que ce clos, » reprit le druide, « porte désormais ce nom ; on appellera toujours cet endroit-ci rempart du grand homme. »


Menhir du Grand Homme (Clochafarmore) à Knockbridge (Irl.), crédits : visionsofthepastblog.com

 

Extraits de textes gallois à propos de chaudrons :

Deuxième branche du Mabinogi : Branwen, Fille de Llyr (Branwen ferch Llyr)
Traduction : Joseph Loth

Ils s'assirent dans le même ordre qu'au commencement du banquet, et Matholwch, commença à s'entretenir avec Bendigeit Vran. Celui-ci trouva que sa conversation languissait, qu'il était triste à cause sans doute de l'affront, tandis qu'auparavant il était constamment joyeux. Il pensa que le prince était si triste parce qu'il trouvait la réparation trop faible pour le tort qu'on lui avait fait. « Homme, » lui dit-il, « tu n'es pas aussi bon causeur cette nuit que les nuits précédentes. Si la réparation ne te semble pas suffisante, j'y ajouterai à ton gré ; et dès demain, on te payera tes chevaux. » — « Seigneur, » répondit-il, « Dieu te le rende. » — « Je parferai la réparation en te donnant un chaudron dont voici la vertu : si on te tue un homme aujourd'hui, tu n'auras qu'à le jeter dedans pour que le lendemain il soit aussi bien que jamais, sauf qu'il n'aura plus la parole. » Matholwch le remercia, et en conçut très grande joie. […]
La nuit suivante, ils s'assirent en compagnie. « Seigneur, » dit Matholwch à Bendigeit, « d'où t'est venu le chaudron que tu m'as donné ? » — « Il m'est venu, » répondit-il, « d'un homme qui a été dans ton pays, mais je ne sais pas si c'est là qu'il l'a trouvé. » — « Qui était-ce ? » — « Llasar Llaesgyvnewit. Il est venu ici d'Iwerddon [d'Irlande], avec Kymideu Kymeinvoll sa femme. Ils s'étaient échappés de la maison de fer, en Iwerddon, lorsqu'on l'avait chauffée à blanc sur eux. Je serais bien étonné si tu ne savais rien à ce sujet. » — « En effet, seigneur, et je vais te dire tout ce que je sais. Un jour que j'étais à la chasse en Iwerddon, sur le haut d'un tertre qui dominait un lac appelé Llynn y Peir (Le lac du Chaudron), j'en vis sortir un grand homme aux cheveux roux, portant un chaudron sur le dos. […]
Chacun alors se jeta sur ses armes. Bendigeit Vran maintint Branwen entre son écu et son épaule. Les Gwyddyl [les Irlandais] se mirent à allumer du feu sous le chaudron de résurrection. On jeta les cadavres dedans jusqu'à ce qu'il fut plein. Le lendemain, ils se levèrent redevenus guerriers aussi redoutables que jamais, sauf qu'ils ne pouvaient parler. Evnyssyen voyant sur le sol les corps privés de renaissance des hommes de l'île des Forts se dit en lui-même : « O Dieu, malheur, à moi d'avoir été la cause de cette destruction des hommes de l'île des Forts. Honte à moi, si je ne trouve pas un moyen de salut. » Il s'introduisit au milieu des cadavres des Gwyddyl. Deux Gwyddyl aux pieds nus vinrent à lui et, le prenant pour un des leurs, le jetèrent dans le chaudron. Il se distendit lui-même dans le chaudron au point que le chaudron éclata en quatre morceaux et que sa poitrine à lui se brisa. C'est à cela que les hommes de l'île durent tout le succès qu'ils obtinrent.

 

Le Conte de Taliesin (Hanes Taliesin)
Traduction : Philippe Camby

Autrefois, il y avait un homme de noble lignée, nommé Tegid Voel, qui vivait en Penllyn. Sa résidence était au milieu du lac et sa femme s'appelait Keridwen. Un fils leur était né, appelé Morvran ab Tegid, et une fille aussi nommée Creirwy, elle était la plus jolie jeune fille du monde, et son frère qui était le plus horrible garçon du monde, fut appelé finalement Avangddu. Keridwen sa mère était savante et compétente dans les trois arts, à savoir : magie, divination, sorcellerie ; et elle pensait qu'Avangddu n'était pas assez beau pour être admis parmi les hommes de noble naissance, à cause de sa laideur, s'il n'avait pas quelque mérite ou connaissance exceptionnels. C'était longtemps avant le temps d'Arthur et de la Table ronde.
Aussi elle résolut, conformément aux arts du Livre de Fferyllt [Virgile], de faire bouillir pour son fils le chaudron de l'Inspiration et de la Connaissance, afin de le rendre honorable par sa connaissance des mystères et de l'état futur du monde. Alors elle commença à faire bouillir le chaudron qui ne devait pas cesser de bouillir pendant un an et un jour, jusqu'à ce que trois gouttes bénies soient obtenues par la grâce de l'Inspiration.
Elle institua Gwion Bach, fils de Gwreang de Llanfair du pays de Caereinion en Powys, pour tourner le chaudron, et un aveugle nommé Morda pour attiser le feu, et elle leur confia la responsabilité de ne pas laisser le chaudron cesser de bouillir pendant la durée d'un an et un jour. Elle-même, conformément aux livres des astrologues et en fonction des heures planétaires, cueillait chaque jour toutes sortes de plantes pleines de charmes. Un jour, vers la fin de l'année, alors qu'elle sélectionnait des plantes en faisant des incantations, il advint que les trois gouttes de liqueur enchantée jaillirent du chaudron et tombèrent sur le doigt de Gwion Bach. A cause de la brûlure, il porta son doigt à ses lèvres et, à l'instant où il mit les gouttes enchantées dans sa bouche, il perçut toutes les choses à venir et il devina qu'il devait prendre garde aux intentions de Keridwen, parce que sa science était grande. Saisi de panique, il s'enfuit dans son pays. Le chaudron explosa en deux parce que, sans les trois gouttes magiques, la potion était un tel poison que les chevaux de Gwyddno Garanhir furent empoisonnés par l'eau du ruisseau dans lequel la liqueur du chaudron s'était renversée. Le confluent de cette rivière a été appelé depuis lors : Le Poison des chevaux de Gwyddno.


 

Extraits de textes gallois à propos de dragons :

Lludd et Llevelys (LLudd a Llefelys)
Traduction : Joseph Loth

Un certain temps s'était déjà écoulé lorsque trois fléaux s'abattirent sur l'île de Bretagne, tels qu'on n'en avait jamais vu de pareils. […] Le second fléau, c'était un grand cri qui se faisait entendre chaque nuit de premier mai au-dessus de chaque foyer dans l'île de Bretagne ; il traversait le coeur des humains et leur causait une telle frayeur que les hommes en perdaient leurs couleurs et leurs forces ; les femmes, les enfants dans leur sein ; les jeunes gens et les jeunes filles, leur raison. Animaux, arbres, terre, eaux, tout restait stérile.
[…]
« Quand au second fléau de tes États, » ajouta-t-il, « c'est un dragon. Un dragon de race étrangère se bat avec lui, et cherche à le vaincre. C'est pourquoi votre dragon à vous pousse un cri effrayant. Voici comment tu pourras le savoir. De retour chez toi, fais mesurer cette île de long en large : à l'endroit où tu trouve­ras exactement le point central de l'île, fais creuser un trou, fais-y déposer une cuve pleine de l'hydromel le meilleur que l'on puisse faire, et recouvrir la cuve d'un manteau de paile . Cela fait, veille toi-même, en personne, et tu verras les dragons se battre sous la forme d'animaux effrayants. Ils finiront par apparaître dans l'air sous la forme de dragons, et, en dernier lieu, quand ils seront épuisés à la suite d'un combat furieux et terrible, ils tomberont sur le manteau sous la forme de deux pourceaux ; ils s'enfonceront avec le manteau, et le tireront avec eux jusqu'au fond de la cuve ; ils boiront tout l'hydromel et s'endormiront en­suite. Alors, replie le manteau tout autour d'eux, fais-les enterrer, enfermés dans un coffre de pierre, à l'endroit le plus fort de tes États, et cache-les bien dans la terre. Tant qu'ils seront en ce lieu fort, aucune invasion ne viendra d'ailleurs dans l'île de Bretagne.
[…]
Quelques temps après, Lludd [Lludd est le Nuada gallois, Llevelys est son frère et tous deux sont fils de Beli Mawr] fit mesurer l'île de Bretagne en long et en large. Il trouva le point central à Rytychen [Oxford]. Il y fit creuser un trou, et déposer dans le trou une cuve pleine du meilleur hydromel qu'il fût possible de faire, avec un manteau de paile par-dessus. Il veilla lui-même en personne cette nuit-là. Pendant qu'il était ainsi aux aguets, il vit les dragons se battre. Quand ils furent fatigués et qu'ils n'en purent plus, ils descendirent sur le manteau et l'entraînè­rent avec eux jusqu'au fond de la cuve. Après avoir fini de boire l'hydromel, ils s'endormirent. Pendant leur sommeil, Lludd replia le manteau autour d'eux et les enterra, enfermés dans un coffre de pierre, à l'endroit le plus sûr qu'il trou­va dans les montagnes d'Eryri. On appela depuis cet endroit Dinas Emreis ; auparavant, on l'appelait Dinas Ffaraon Dandde. Ainsi cessa ce cri violent qui troublait tout le royaume.


 

Extraits de textes gallois à propos de Lleu frappé d'une lance :

Quatrième branche du Mabinogi : Math, Fils de Mathonwy (Math fab Mathonwy)
Traduction : Joseph Loth

Le lendemain, elle [Blodeuwedd] dit à Lleu : « Seigneur, j'ai fait préparer la claie et le bain : ils sont prêts. » — « C'est bien, » répondit-il, « allons voir. » Ils allèrent voir le bain. « Veux-tu aller dans le bain, seigneur, » dit-elle ? — « Volontiers, répondit-il. Il y alla et prit son bain. « Seigneur, » dit-elle, « voici les animaux que tu as dit s'appeler boucs ». — « Eh bien, » répondit-il, « fais en prendre un et fais-le amener ici. » On amena le bouc. Lleu sortit du bain, mit ses chausses et posa pied sur le bord de la cuve, et l'autre sur le dos du bouc. Gronw se leva alors, à l'abri de la colline qu'on appelle Brynn Kyvergyr [la colline de la rencontre, du combat], et, appuyé sur un genou, il le frappa de la lance empoisonnée, et l'atteignit si violemment dans le flanc, que la hampe sauta, et que le fer resta dans le corps. Lleu s'envola sous la forme d'un oiseau en jetant un cri strident, affreux, et on ne le revit plus.
Aussitôt qu'il eut disparu, ils se rendirent, eux, à la cour, et, cette nuit même, couchèrent ensemble. Le lendemain, Gronw se leva et prit possession d'Ardudwy. Après s'en être rendu maître, il le gouverna et devint seigneur d'Ardudwy et de Penllyn. L'histoire parvint aux oreilles de Math, fils de Mathonwy. Math en conçut profonde douleur et grand chagrin, et Gwydyon beaucoup plus encore. « Seigneur, » dit Gwydyon, « je ne prendrai jamais de repos avant d'avoir eu des nouvelles de mon neveu. » — « Bien, » dit Math, « Dieu te soit en aide. » Il partit et se mit à parcourir le pays ; il erra à travers Gwynedd [nord du Pays de Galles] et Powys [est du Pays de Galles] d'un bout à l'autre. Ensuite il se rendit en Arvon, et arriva à la maison d'un serf qui habitait le maenawr de Pennardd. Il descendit chez lui et y passa la nuit. Le maître de la maison et les gens de sa famille rentrèrent. Le porcher arriva le dernier. Le maître lui dit : « Valet, ta truie est-elle rentrée ce soir ? » — « Oui, » répondit-il ; « en ce moment elle est venue rejoindre les porcs. » — « Quel trajet fait donc cette truie, » demanda Gwydyon ? — « Tous les jours, aussitôt qu'on ouvre l'écurie, elle sort et on ne la voit plus ; on ne sait quel chemin elle a pris, pas plus que si elle allait sous terre ! » — « Voudrais-tu, » reprit Gwydyon, « me faire le plaisir de ne pas ouvrir la porte de l'écurie avant que je ne sois avec toi à côté ? » — « Volontiers. » Ils allèrent se coucher.
Au point du jour, le porcher se leva et réveilla Gwydyon. Il se leva, s'habilla, alla avec le porcher, et se tint auprès de l'écurie. Le porcher ouvrit la porte ; au même moment, la truie s'élança dehors et se mit à marcher d'une allure vigoureuse. Gwydyon la suivit. Elle prit sa course en remontant le cours de la rivière, se dirigea vers le vallon qu'on appelle maintenant Nant y Lleu (le ravin de Lleu ou du Lion) ; là, elle s'arrêta et se mit à paître. Gwydyon vint sous l'arbre et regarda ce que mangeait la truie. Il vit que c'étaient de la chair pourrie et des vers. Il leva les yeux vers le haut de l'arbre et aperçut un aigle au sommet. À chaque fois que l'aigle se secouait, il laissait tomber des vers et de la chair en décomposition que mangeait la truie. Gwydyon pensa que l'aigle n'était pas autre que Lleu, et chanta cet englyn :
Chêne qui pousse entre deux glens, l'air et le vallon sont sombres et agités : si je ne me trompe, ces débris décomposés sont ceux de Lleu. L'aigle se laissa aller jusqu'au milieu de l'arbre.

Gwydyon chanta un second englyn :
Chêne qui pousse sur cette terre élevée, que la pluie ne peut plus mouiller et n'a pas amolli, qui a supporté cent quatre-vingts tempêtes : à son sommet est Lleu Llaw Gyffes.

L'aigle se laissa aller jusque sur la branche la plus basse de l'arbre. Gwydyon chanta un troisième englyn :
Chêne qui pousse sur la pente… si je ne me trompe, Lleu viendra dans mon giron.

L'aigle se laissa tomber sur les genoux de Gwydyon. D'un coup de sa baguette enchantée, Gwydyon lui rendit sa forme naturelle. On n'avait jamais vu quelqu'un présentant plus triste aspect : il n'avait que la peau et les os.
Gwydyon se rendit avec lui à Kaer Dathyl. On amena, pour le soigner, tout ce qu'on put trouver de bons médecins en Gwynedd. Avant la fin de l'année, il était complètement rétabli. « Seigneur, » dit-il alors à Math, fils de Mathonwy, « il est temps que j'aie satisfaction de l'homme dont j'ai eu souffrance. » — « As­surément, » répondit Math, « il ne peut se maintenir sans te rendre satisfaction. » — « Le plus tôt que j'obtiendrai satisfaction sera le mieux pour moi. »
Ils rassemblèrent toutes les troupes de Gwynedd et marchèrent sur Ardudwy. Gwydyon, qui était à leur tête, se dirigea sur Mur y Castell. Blodeuwedd, à la nouvelle de leur approche, prit ses suivantes avec elle, et se dirigea, à travers la ri­vière Kynvael, vers une cour située sur la montagne. Leur terreur était telle qu'el­les ne pouvaient marcher qu'en retournant la tête ; elles tombèrent ainsi dans l'eau sans le savoir, et se noyèrent toutes à l'exception de Blodeuwedd. Gwydyon l'atteignit alors, et lui dit : « Je ne te tuerai pas, je ferai pis. Je te laisserai aller sous la forme d'un oiseau. Pour te punir de la honte que tu as fais à Lleu Llaw Gyffes, tu n'oseras jamais montrer ta face à la lumière du jour, par crainte de tous les autres oiseaux. Leur instinct les poussera à te frapper, à te traiter avec mépris partout où ils te trouveront. Tu ne perdras pas ton nom, on t'appellera toujours Blodeuwedd. » On appelle en effet le hibou Blodeuwedd, aujourd'hui encore. C'est ainsi que le hibou est devenu un objet de haine pour tous les oiseaux.
Gronw Pefr, lui, retourna à Penllynn, d'où il envoya une ambassade à Lleu Llaw Gyffes pour lui demander s'il voulait, pour prix de son outrage, terre, do­maines, or ou argent. « Je n'accepte pas, » répondit-il, « j'en atteste Dieu. Voici le moins que je puisse accepter de lui : il se rendra à l'endroit où je me trouvais quand il me donna le coup de lance, tandis que moi je serai à la même place que lui, et il me laissera le frapper d'un coup de lance. C'est la moindre satisfaction que je puisse accepter. » On en informa Gronw Pefr. « Eh bien, » dit-il, « je suis bien forcé de le faire. Nobles fidèles, gens de ma famille, mes frères de lait, y a-t-il quelqu'un de vous qui veuille recevoir le coup à ma place ? » — « Non pas, » répondirent-ils. C'est à cause de cela, parce qu'ils ont refusé de souffrir un coup à la place de leur seigneur, qu'on n'a cessé de les appeler depuis, la troisième fa­mille déloyale. « Eh bien, » dit-il, « c'est donc moi qui le supporterai. »
Ils se rendirent tous les deux sur les bords de la rivière de Kynvael. Gronw se tint à l'endroit où était Lleu Llaw Gyffes quand il le frappa, tandis que Lleu occupait sa place. Gronw Pefr dit alors à Lleu : « Seigneur, comme c'est par les artifices pervers d'une femme que j'ai été amené à ce que j'ai fait, je te prie, au nom de Dieu, de me laisser mettre entre moi et le coup, cette pierre plate que j'aperçois sur le bord de la rivière. » — « Je ne refuserai pas cela, assurément, » répondit Lleu. — « Dieu te le rende. » Gronw prit la pierre et la tint entre lui et le coup. Lleu darda sa lance, traversa la pierre de part en part, et Gronw lui-même, au point qu'il lui rompit le dos. Ainsi fut tué Gronw Pefr. Il y a encore là, sur le bord de la rivière Kynvael, une pierre percée d'un trou ; et, en souvenir de ce fait on l'appelle encore aujourd'hui Llech Gronw. Lleu Llaw Gyffes reprit possession du pays, et le gouverna heureusement. D'après ce que dit le récit, il devint ensuite seigneur de Gwynedd.
Ainsi se termine cette branche du Mabinogi.


Pierre de Gronw à Blaenau Ffestiniog (Pays de Galles, UK), crédits : Stephen McKay, wikipedia.en
Pierre de Gronw à Dyffryn Ardudwy (Pays de Galles, UK), crédits : triskele.eklablog.com